14 décembre 2017
Bataille des paywalls : comment monétiser son audience
L’attention fait l’objet d’un combat homérique et la publicité en ligne, phagocytée par les Gafa, ne fait plus recette. Les éditeurs recherchent donc de nouvelles stratégies pour diversifier leurs sources de revenus et maximiser la valeur par l’utilisateur. De plus en plus se tournent notamment vers les modèles du freemium et du paywall. Retour sur les enjeux et les limites de ces modèles avec ces quelques startups présentes au salon de la Presse au Futur.
« Il y a quelques années, au Journal Du Dimanche (JDD), on vendait le journal et on ne mettait rien sur notre site web. Sauf que nos infos étaient reprises partout et donc, on ne faisait pas d’audience en ligne. » reconnaît Cyril Petit, rédacteur en chef central du JDD. Il poursuit : « Certains médias allaient même jusqu’à diffuser gratuitement leur journal en ligne car ils n’avaient pas pu l’imprimer après une journée de grève. » Selon Cyril Petit, les éditeurs en ligne vont maintenant devoir essuyer les plâtres et payer le prix de cette ode à la gratuité de l’information en ligne, en rattrapant “des années de mauvaise pratique.”
Au coeur de la tourmente, les paywalls et modèles freemium sont ainsi devenus monnaie courante pour monétiser leur contenus (ou leur audience). Jean-Christophe Boulanger, président du SPIIL (syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), observe certaines tendances, notamment au sein des pure players membres du syndicat : au-delà de la monétisation des contenus, on parle de monétisation d’expérience. Plus qu’un contenu, c’est en effet un service que l’on monétise, à l’image de la newsletter brief.me, qui propose en fait une synthèse quotidienne des faits saillants de l’actualité, offrant ainsi un gain de temps considérable au lecteur qui veut se tenir informé sans devoir aller piocher de site en site les infos du jour. Cyril Petit croit aussi beaucoup à cette logique servicielle : « Un journal, c’est un objet mais c’est aussi un moment. Le moment du dimanche est bien qualifié et répond à cet objectif. Je crois aussi beaucoup au journal (qui propose un début, une fin et de l’information hiérarchisée) à l’image de la Matinale du Monde. Je crois que nos lecteurs vont continuer à acheter un ensemble. »
Le président du SPIIL relève aussi l’importance accordée à la fidélisation et à l’user expérience, pendue sur toutes lèvres au Salon de la Presse au Futur. L’essor d’un nouveau métier dans la presse : le success manager et des startups dédiées à l’optimisation du taux de transformation de l’utilisateur donnent la mesure du phénomène.
L’expérience utilisateur : le saint graal des paywalls
Ces solutions de monétisation partent d’ailleurs souvent du même constat : aujourd’hui, l’expérience utilisateur face aux paywalls est mauvaise.
Selon Maxime Moné, fondateur de la jeune pousse POOOL, 90% des lecteurs qui arrivent sur un article premium ne vont pas payer et 60% d’entre eux vont quitter le site sans chercher à aller sur un autre article du site.
« Aujourd’hui, la proposition de valeur pour le lecteur est binaire : soit tu t’abonnes, soit tu pars. » Sa solution pour arriver à créer de la valeur : passer d’un paywall statique et unique à un paywall dynamique et intelligent qui varie en fonction du profil de l’utilisateur (lecteurs volatiles, fans, lecteurs loggés, lecteurs possédant un adblocker…). POOOL permet ainsi de créer des segments d’utilisateurs et des parcours adaptés et plus progressifs avec des étapes intermédiaires et des contreparties avant d’arriver à l’abonnement (exemple : répondre à une question, s’abonner à la newsletter…)
En 18 mois d’existence, ce système de paywall scénarisé en fonction du profil des lecteurs et non du contenu a déjà séduit une dizaine de groupes médias dont Nice Matin, L’Avenir en Belgique ou encore Sud-Ouest. Offrir aux lecteurs volatiles des règles d’accès plus souples aux articles payants leur permettrait d’augmenter de 50% l’acquisition en abonnés digitaux et de 10 000 euros / mois en choix de compensation. La startup vient tout juste de boucler une levée de fonds à hauteur de 500 000 euros, notamment auprès de Xavier Niel et de l’incubateur du groupe Sud-Ouest Theophraste.
En somme, l’idée est simple : transformer la frustration en engagement. « Le marketing de la frustration ne génère pas tant que ça d’abonnés » constate aussi Marc Leprat de chez ViewPay, qui occupe pour sa part le terrain de l’adverpayment, un système de micro-paiement basé sur la publicité qui permet aux internautes d’accéder “gratuitement” à un contenu premium en visionnant une vidéo publicitaire de leur choix. La startup propose d’améliorer le taux de transformation de l’audience “en allant chercher autre chose qu’un paiement par l’argent”, fondateur de Viewpay, qui propose à l’internaute d’accéder au contenu payant en visionnant une publicité.
Même son de cloche chez Marc Lamache, fondateur de SwissPay, pour qui les modèles payants actuels ne sont pas adaptés. Son smartwall, déjà utilisé par L’Opinion, Le Temps ou encore le JDD, propose de s’adapter au contexte de l’utilisateur qui peut ainsi choisir de payer en quelques clics via son opérateur mobile ou de visionner une vidéo publicitaire, qui lui donnera un accès intégral à l’article.
Parmi les autres leviers de monétisation pour des contenus premium, on trouve bien évidemment le paiement à l’article, sur le modèle de Blendle ou de Qiota, mais aussi le service d’abonnement unifié à la Netflix. C’est ce que propose Multipass : pour 9,99 euros / mois, l’utilisateur peut accéder aux contenus réservés aux abonnés sur un bouquet de sites partenaires. Sous forme d’un plugin, Multipass est reconnu automatiquement sur tous les sites partenaires. Pour l’instant, la plateforme aurait reversé 60 000 euros à ses éditeurs partenaires avec qui ils partagent les revenus.
De nouvelles opportunités pour les annonceurs
Ces nouvelles modalités d’accès plus souples au contenu payant permettent ainsi de valoriser des annonceurs, qui deviennent ceux qui nous permettent de lire un article gratuitement, indirectement.
« Si on détecte que le lecteur a un adblocker, on lui propose de le désactiver et on l’aide ensuite à comprendre que le contenu a une valeur, qu’on n’est pas là pour collecter ses données mais lui donner du pouvoir dans son expérience utilisateur. La publicité n’est alors plus considérée comme une obligation mais comme un choix. Il s’agit d’expliquer aux utilisateurs qu’il y a lien entre publicité et gratuité » explique Marc Lamache (SwissPay). Selon lui, cette approche bouscule la conception habituelle de la publicité : de la pub qui gêne et interrompt le parcours, on passe à la pub utile. “En proposant aux lecteurs la publicité comme un moyen de paiement, la relation devient très claire. »
La solution Viewpay, déjà installée sur l’Edition du Soir de Ouest-France et sur Laprovence.com permettrait de rémunérer ses 30 éditeurs issus de la PQR entre 30 et 60 euros du CPM contre 10 euros du CPM dans un contexte publicitaire habituel. « Dans la presse, on monte en moyenne à 20% de monétisation. On peut monter sur certains paywall jusqu’à 40%. » Pour Marc Leprat (ViewPay), l’encombrement publicitaire justifie la baisse des CPM (coût pour mille). Viewpay entend ainsi proposer un système centré sur l’utilisateur (qui accepte la publicité car il en comprend l’utilisation) et qui permet de bien rémunérer les éditeurs.
Autre startup qui mise sur une meilleure expérience de la publicité : Marfeel. La plateforme analyse des comportements et les habitudes des lecteurs pour agencer de manière dynamique les publicités sur le mobile et ainsi maximiser les metrics d’engagement (temps passé, nombre d’impressions, vitesse de chargement).
Pour aller plus loin :
- Peter Pontuch, cofondateur de Qiota était au Salon Presse au Futur en 2016. Voici ce qu’il avait retenu au sujet de la monétisation, l’une des thématiques clés du salon. Voici le tuto qu’il a réalisé au Médialab SpeedTraining 2016.
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