19 novembre 2024
IA et journalisme : je t’aime, moi non plus ?
Le club de la presse de Bretagne, adhérent de Ouest Médialab, organisait les 15 et 16 novembre le festival “Raconter hier, raconter demain” à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Lors de la journée réservée aux professionnels, nous avons animé une table ronde sur le thème de l’IA et du journalisme. On vous propose un résumé de ces échanges.
Vendredi 15 novembre, les journalistes et communicants bretons avait rendez-vous à Rennes pour le festival “Raconter hier, raconter demain”, organisé pour les 50 ans du club de la presse de Bretagne. En ouverture de cette journée, ils ont pu s’interroger sur la place de l’intelligence artificielle dans la profession lors d’une table ronde intitulé “IA et journalisme : je t’aime, moi non plus ?
Quatre intervenant·es étaient présent·es pour en discuter :
- Pascaline Angot, responsable d’antenne au sein de la chaîne TVR, qui a formé ses équipes à l’IA en 2024 avec Ouest Médialab
- Bruno Masi, responsable pédagogique de la filière média à l’INA, qui propose des formations autour de l’IA
- Michel Le Nouy, directeur de projets informatiques, responsable de la banque de contenus, à Ouest-France
- Laurent Amsaleg, directeur de recherche au CNRS. Il dirige l’équipe LinkMedia au sein du lab Irisa/Inria, qui collabore avec Ouest-France sur un projet baptisé Synapse autour de l’IA appliqué à l’analyse des archives du quotidien.
Les échanges étaient animés par Jimmy Darras, chef de projet à Ouest Médialab. Nous vous proposons une synthèse de ce qui s’y est dit.
Dépasser la défiance des journalistes vis-à-vis de l’IA
“Il y a des craintes légitimes de la rédaction, donc on accompagne pour que la tonalité de Ouest-France soit préservée et pas noyée par l’IA. Plutôt que de craindre une technologie, notre philosophie est de voir ce qu’on peut faire de cette technologie et comment elle peut apporter de l’aide à nos métiers.”
Michel Le Nouy, Ouest-France
“La meilleure manière d’aborder ces outils est d’ouvrir le capot pour comprendre comment ils fonctionnent […] On est à la troisième révolution numérique, après l’arrivée des moteurs de recherche, puis des réseaux sociaux. […] À chaque grand saut technologique, on repose les fondamentaux de nos métiers.”
Bruno Masi, INA
L’usage de l’IA au service du journalisme
“Sur le projet Synapse, on regarde comment l’IA peut être utile dans l’analyse des archives et contenus de Ouest-France pour faire un meilleur journalisme. Quand on traite un sujet, c’est intéressant de savoir comment il a déjà été abordé, en fouillant les archives de manière pertinente, et ça c’est compliqué, mais l’IA peut nous aider. Il s’agit bien d’aider, pas de remplacer.”
Laurent Amsaleg, Inria/Irisa
“On n’utilise pas l’IA pour de la rédaction mais pour classer des articles (dans les bonnes rubriques), donner de la profondeur, faire le bon lien…”
Michel Le Nouy, Ouest-France
“L’IA peut être vue comme un exosquelette pour les journalistes, qui va les assister dans certaines tâches, mais ne peut pas marcher tout seul. Le New York Times a, par exemple, réalisé une enquête pour déterminer le poids des bombes lancées par Israël dans la bande de Gaza à partir des images satellites analysée par une IA. Même si ce n’est pas à la portée de tous les médias, c’est passionnant.”
Bruno Masi, INA
“À TVR, nous sommes une petite équipe. On n’a pas de R&D pour développer nos propres outils. On utilise des outils vidéo qui ont recours à l’IA. On utilise aussi ChatGPT, qui est très simple d’utilisation et répond à nos besoins. L’IA nous sert notamment pour le montage de bande-annonces, le sous-titrage pour être plus accessible, et on veut travailler sur la météo et les résultats sportifs. Notre envie, c’est d’utiliser ces outils pour renforcer ce qu’on est et dégager du temps pour se concentrer sur l’essentiel“.
Pascaline Angot, TVR
Évaluer l’impact de l’IA
“On ne mesure pas précisément encore tous les gains de temps, c’est aussi disparate selon les profils et l’expérience des personnes qui utilisent les outils et les sujets traités. […] Les journalistes nous remontent plein de problème, et l’Irisa nous conforte en apportant son expertise ; c’est un effort sur le long terme qui nous permet de résister aussi aux effets de mode. Tel moteur ou langage peut être pertinent sur des articles récent et décevant sur des archives, donc on teste et on avance à tâtons, avec le concours de labo qui ne sont pas dans une démarche mercantile.”
Michel Le Nouy, Ouest-France
“Évaluer l’IA, c’est quelque chose que l’on fait tout le temps au sein de notre labo, on arrive à comparer les outils et donner des indicateurs, mais quand on passe dans le réel, dans une rédaction, tout est plus complexe à définir. Donc il faut comprendre les écarts entre nos évaluations et les perceptions sur le terrain, c’est le cœur de notre démarche, une question fondamentale et ça prend beaucoup de temps”.
Laurent Amsaleg, Inria/Irisa
“On est tout le temps en mode test. On est agile et on décide au fur et à mesure les usages pertinents ou non. La prise en main des outils varie selon les métiers et les niveaux, ça va prendre un peu de temps, mais on va continuer à se former.”
Pascaline Angot, TVR
Les questions éthiques autour de l’A
“Il est important d’être transparent vis-à-vis du public : si on crée une image de loup-garou à Rennes avec une IA et qu’on le diffuse, on le signale au public. On va poser une charte d’utilisation en début d’année et elle continuera d’évoluer. il faut aussi qu’on se pose la question de l’impact écologique de l’utilisation de ses outils d’IA.”
Pascaline Angot, TVR
“On voit apparaître la nécessité d’adopter de bonnes pratiques. Il faut aussi développer l’éducation aux médias et à l’IA”.
Bruno Masi, INA
“Je suis pessimiste, je pense que ça va être de plus en plus difficile de distinguer le vrai de ce qui est fabriqué par des IA de plus en plus sophistiquées. Ce n’est pas la jungle non plus, on réfléchit à des estampillés pour réguler et tracer ce qui est fait par une IA, mais ça reste un jeu du chat et de la souris.”
Laurent Amsaleg, Inria/Irisa
Vous souhaitez aller plus loin sur le sujet ? Vous pouvez suivre l’une de nos deux formations pour monter en compétences sur l’IA :