6 novembre 2024
“Les médias alternatifs nantais sont une vraie richesse démocratique et économique pour le territoire”
INTERVIEW CROISÉE. À l’initiative de l’association Télénantes, un état des lieux inédit des médias locaux indépendants nantais a été réalisé et présenté au public le 25 septembre 2024 en préambule du Festival de l’info locale. Il a permis de recenser 49 médias qui produisent de l’information locale dans la métropole nantaise. Patrick Ardois, membre fondateur de l’asso Télénantes, Marie Le Douaran, du magazine Les Autres Possibles, qui a coordonné l’étude et Emmanuel Bouvet, journaliste, qui a conduit les entretiens auprès des responsables de médias, reviennent sur ce projet auquel Ouest Médialab est associé.
Pourquoi avez-vous souhaité dresser cet état des lieux des médias indépendants/alternatifs nantais en 2024 ?
Patrick Ardois (PA) : Après la vente des actions de Télénantes-l’asso dans la SAS N7TV, nous avons souhaité redistribuer les sommes perçues (160K€) en direction des médias nantais, à travers un fonds de soutien. Neuf projets ont ainsi été dotés. Il nous restait 20 K€ pour imaginer d’autres actions : forums, événements, débats… de nature à mettre en lumière l’ensemble de l’écosystème média nantais.
Nous voulions montrer le dynamisme des médias nantais, leur donner de la visibilité, souligner l’importance et la diversité des médias indépendants, notamment auprès des collectivités. Nous souhaitions également proposer une sorte d’états généraux de la presse indépendante nantaise qui réunirait ces médias et les institutions pour réfléchir ensemble aux moyens de renforcer les collaborations entre rédactions et donner de la visibilité à cet ensemble de médias.
Qui sont les partenaires associés à ce projet ?
PA : Avec Eric Warin, ancien président de la chaîne Télénantes, nous pensions que c’était aux acteurs locaux d’imaginer ce qui pouvait être fait au bénéfice de tous. Nous nous sommes appuyés sur l’expertise de Ouest Médialab et de la Drac, par l’intermédiaire de Guillaume de la Chapelle pour y voir clair et nous avons rassemblé une équipe composée de Marie Le Douaran des Autres Possibles, Charlotte Waelti et Capucine Frey de l’Onde Porteuse, Marie Roy de Com&Média, Pierre Boucard de Sun. L’idée de proposer un inventaire nous a vite semblé opportune et réaliste.
Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
Marie Le Douaran (MLD) : Le premier constat que je dresse, c’est que les médias indépendants/alternatifs sont nombreux sur la métropole, avec une forte représentativité de presse papier, de pure players et de radios, et moins de télé et médias vidéo. J’en ai découvert un certain nombre que je ne connaissais pas ! C’est à mon sens une vraie richesse et une vraie force pour le territoire, à la fois démocratique et économique puisque cela représente 5M de chiffre d’affaires, plus de 100 ETP (équivalent temps plein) et 900 bénévoles, sachant que tous les médias n’ont pas souhaité communiquer leurs chiffres (ndlr : 28 médias ont communiqués leurs chiffres sur 50 recensés). Je relèverais aussi qu’il ne s’agit plutôt d’un archipel que d’un écosystème, puisque les collaborations et mutualisations existent peu.
PA : L’effervescence qu’a connu Nantes en termes de création dans les années 2000 a permis de dessiner le paysage actuel. A l’exception de quelques-uns (dont Pulsomatic, Terra Eco), les médias créés à cette époque sont toujours là avec des structures solides. Les créations plus récentes sont sans doute plus fragiles mais plus créatives apportant de la diversité au territoire : nouvelles formes, recours accru à la vidéo, hybridations, éduc-média. La variété des modèles économiques est à souligner..
Les résultats vous ont-ils surpris ?
MLD : Je n’ai pas été surprise des constats économiques, des craintes démocratiques ou technologiques relevées par les médias, cela conforte plutôt un sentiment de départ. J’ai tout de même été surprise par les chiffres : le nombre de médias, le nombre d’emplois, le poids économique…
Emmanuel Bouvet (EB) : J’ai également été surpris par le nombre de médias actifs sur la métropole nantaise et le poids économique en termes d’emplois et de chiffre d’affaires, sachant que les chiffres recueillis sont très en deçà de la réalité.
Quelle méthode avez-vous utilisée pour conduire cette enquête ?
EB : Nous avons d’abord eu un échange nourri, au sein du comité de pilotage, afin d’objectiver les notions de ‘média’ + ‘indépendant’ + ‘nantais’ . Puis nous avons construit deux questionnaires : un pour les données générales et quantitatives (effectifs, audience, canaux de diffusion, budget…) et un questionnaire d’entretien qualitatif portant sur les conditions de vie et d’exercice du média (modèle économique, indépendance, rapport au GAFAM et aux IA, perception de l’écosystème médiatique nantais).
Pour identifier les médias, nous nous sommes appuyés sur la carte des rédactions locales en France réalisée par Ouest Médialab en 2019. Un appel à contribution a été lancé sur les réseaux sociaux et nous avons scruté internet et les présentoirs dans les bars et lieux publics nantais 😉
Sur les 50 médias recensés, 35 ont participé à un entretien qualitatif.
Comment a été défini le périmètre des médias indépendants ou alternatifs nantais ?
EB : La notion de ‘média’ a été la plus discutée. Peut-on mettre sur le même plan un compte Instagram et un journal inscrit à la Commission paritaire des publications et agences de presse ? Nous nous sommes mis d’accord sur une définition assez ouverte : un support d’information basé sur la métropole nantaise (24 communes), diffusant de l’information locale.
MLD : Nous avons volontairement exclu des critères de professionnalisation (nombre de journalistes et/ou de cartes de presse), l’important pour cet inventaire étant de compter les titres qui produisent une information locale de façon indépendante, c’est-à-dire sans groupe/investisseur ou collectivité en soutien ou à la manœuvre.
Comment a-t-elle été reçue par les premiers intéressés ?
EB : L’initiative a été bien accueillie lors des prises de contacts. Les médias de la métropole nantaise ne se connaissent pas bien entre eux. Il y avait une réelle curiosité réciproque ainsi que l’envie de faire valoir leur raison d’être et leur utilité auprès des habitants et, pour certains, des pouvoirs publics. La participation à la soirée de présentation de l’inventaire, la veille du Festival de l’info locale, en témoigne. Seulement trois médias ont refusé les entretiens et le partage d’informations.
Si cela était à refaire, y a-t-il des choses que vous feriez de la même façon ou différemment ?
EB : L’inventaire et l’étude ont été réalisés sur 3 mois. Idéalement, il faudrait plus de temps et de moyens pour compléter les entretiens, affiner et fiabiliser les données ‘sensibles’ relatives à l’audience, au modèle économique, à l’impact des médias locaux.
MLD : Avec plus de temps, nous aurions également pu mieux explorer le volet influenceur·euses et réseaux sociaux.
Quelles suites voulez-vous donner à cette étude ?
PA : L’association Télénantes va se retirer du jeu à l’occasion des 20 ans de la chaîne, ce sera en décembre prochain. Nous avons amorcé une réflexion et produit une photo de l’état de l’art en 2024. Ce travail, très perfectible, sera poursuivi par d’autres acteurs, autour de Ouest Médialab et du Club de la Presse. C’est ce que nous souhaitons.
MLD : Il y a un enjeu assez fort autour du “et après ?” À qui communique-t-on ces résultats ? Dans quel but ? Avec quels financements ? Bref, quelle est l’étape d’après cette interconnaissance…