15 octobre 2015
Coproduction de l’info : les cas de The Pixel Hunt et WeDoData
Par Mathilde Hégron (Ouest Médialab)
Les journalistes seraient-ils atteints du syndrome de Shiva ? Seraient-ils devenus des profils “touche-à-tout”, cumulant les casquettes et les compétences dans la conquête de nouvelles formes d’information en ligne ? Ou sont-ils simplement amenés à travailler main dans la main avec d’autres métiers pour que les productions web innovantes voient le jour ? C’était l’un des sujets abordés lors de la 6ème Conférence Nationale des Métiers du Journalisme qui se tenait à Paris le 1er octobre dernier.
Plusieurs cas ont été présentés : l’intégration d’autres compétences en interne, comme c’est le cas pour WeDoData qui a récemment recruté un ingénieur centralien, l’implication des rédactions en amont autour d’un projet (l’agence The Pixel Hunt avec Le Monde.fr), la démocratisation d’outils pour doter le journaliste de nouvelles compétences, avec l’outil de narration interactive RacontR et enfin, des compétences qui doivent interagir avec tous les métiers du web, y compris les journalistes : le référencement (Fifty agency). Les expériences des agences WeDoData, représentée par Karen Bastien et The Pixel Hunt, fondée par Florent Maurin, ont particulièrement retenu notre attention. La première est dédiée au datajournalisme. Sa philosophie ? “Des images plutôt que des mots”. La deuxième, pour qui “La vie est un jeu” appartient, vous l’aurez deviné, au petit monde du newsgame, tout comme Casus Ludi (basée à Nantes).
Une autre façon de penser l’actu
Fondée par Karen Bastien, ancienne rédactrice en chef de Terra eco et François Prosper, graphiste d’informations, WeDoData croise les compétences nécessaires à la réalisation de projet de datajournalisme : journaliste, datascientist, designer et développeur composent son équipe. L’agence, dont la moitié de l’activité dépend des médias (Arte, France Télévisions, Radio France…) réalise des objets web qui enrichissent l’expérience journalistique et accompagne aussi des institutions publiques dans l’open data. Karen Bastien défend la dataviz “froide”, c’est-à-dire, qui ne surfe pas sur l’actu. L’idée est de sortir de cette logique de flux médiatique qui ne valorise pas toujours l’information et de travailler sur des événements d’actualité prévisibles à l’image d’une élection régionale : « les médias viennent nous chercher pour ce temps long ». WeDoData est pensée comme une cellule extérieure, hors circuit, leur apportant des idées et bien sûr des compétences. La collaboration avec d’autres métiers oblige à « se confronter à un autre cerveau, une autre façon de penser ».
Florent Maurin est quant à lui passionné des objets web qui permettent de traiter l’actu par le jeu. Ancien du groupe Bayard Presse au développement de l’offre numérique jeunesse, il a remporté le prix Google-Sciences Po “Start-Up de l’info” qui lui a permis de créer son studio de production de newsgames et de récits interactifs ludiques. The Pixel Hunt a remporté plusieurs prix, notamment pour Jeu d’influences, un triptyque transmédia qui s’intéresse aux conseillers en communication de crise. Ses clients ? Des médias, des diffuseurs mais aussi des sociétés de production comme Ask Média et WeDoData. Florent Maurin a notamment travaillé pendant 18 mois avec l’équipe de Nabil Wakim (Le Monde.fr) sur le projet expérimental Primaires à Gauche, qui propose d’incarner un candidat pour l’élection présidentielle. Un succès (plus de 180 000 parties jouées) qu’il attribue en partie à l’implication de l’équipe en amont du projet. Pour les présidentielles de 2012, The Pixel Hunt a conçu le projet Les programmes et vous, amenant l’utilisateur à s’interroger sur sa position politique, mais aussi sur celle des lecteurs du journal à travers un quizz enrichi d’un newsgame. Au total, plus de 450 000 questionnaires ont été complétés sur l’application en 4 semaines et Le Monde.fr a collecté plus de 90 000 adresses email, soit la plus grosse campagne emailing du journal.
Pour en savoir plus sur ces deux agences, retrouvez les interviews de Nicolas Becquet : The Pixel Hunt et WeDoData.
Le newsgame “Primaires à gauche” conçu par The Pixel Hunt
Aller au-delà de l’expérimentation
Dataviz, newsgame… Ces objets web rentrent dans une démarche d’expérimentation qui commence un peu à s’éterniser, souligne Florent Maurin : « pour la pérennité de nos métiers à tous je pense qu’il faut déterminer maintenant quelles sont les bonnes pratiques, les bonnes approches, donner des définitions claires de ce qu’on attend : on ne peut plus rester dans cette phase d’expérimentation ». Si la question des objectifs et des attentes est posée, il faut aussi s’interroger sur les critères de satisfaction selon Guillaume Giraudet (Fifty Agency). Il s’agit de penser parcours utilisateur et pas uniquement chiffres de consultation, d’où l’importance de s’intéresser réellement à son audience en se posant les bonnes questions : pourquoi lancer un format innovant ? Quelle finalité ? Qu’est ce qui est satisfaisant : le temps passé sur le format ou le nombre de visites ? « Quand on créé quelque chose il faut savoir pourquoi on le fait et ce qu’on en attend derrière ».
Lorsque l’on propose des formats innovants, il faut également penser à les valoriser sur la page d’accueil du site, les diffuser sur les réseaux sociaux… Des règles à priori évidentes mais qui ne sont pas toujours respectées. Et comment fait-on perdurer l’objet web dans le temps (archivage des webdocs) ? Florent Maurin insiste sur la communication faite autour de telles productions qui sont vouées à l’échec si « le public n’est pas au rendez-vous ». Il invite à repenser la mise en valeur du newsgame sur les sites web et n’a pas peur d’employer les grands mots. Il faut faire du marketing éditorial : « les gens de la télé savent bien faire la promo d’un programme en broadcast qui est un rendez-vous, à heure fixe mais ont plus de mal à le faire pour un objet web » en partie parce qu’ils auraient du mal à dompter des réseaux sociaux.
Ces nouvelles formes d’information font clairement bouger les lignes. De tels projets, pouvant s’étendre sur plusieurs mois, impliquent une collaboration étroite entre les différents métiers : fini le journalisme en vase clos, place aux systèmes ouverts. La production de l’info se veut résolument horizontale, associant au quotidien les journalistes à d’autres métiers (spécialistes des données, designers, développeurs) mais aussi au public lui-même. Si vous avez envie de vous lancer, le cluster Ouest Médialab vous propose d’expérimenter des projets numériques dans le cadre de ses ateliers HybLab faisant de la transdisciplinarité un véritable leitmotiv. Le prochain HybLab dédié au datajournalisme se tiendra en janvier 2016.
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