22 avril 2016
Transition numérique des télés locales : le cas de TV Rennes
Aurélie Rousseau, directrice de la télévision locale TVR, nous raconte le grand chantier numérique engagé depuis plus d’un an par les équipes de la chaîne rennaise.
Voilà un an que vous avez accéléré la transition numérique de TVR. Quels étaient les objectifs que vous vous étiez fixé pour réussir cette transition ? Les avez-vous atteints ?
Aurélie Rousseau : TVR est une chaîne qui est très connue sur son territoire, avec des audiences TV importantes pour un média local, puisque nous sommes suivis par environ 50 000 personnes par jour en Ille-et-Vilaine et jusqu’à Saint-Brieuc, ce qui nous place d’ailleurs dans le trio de tête des télévisions locales en France en audience cumulée.
Il y a un an, nous avions bien sûr déjà en tête la nécessité d’être plus présents de manière délinéarisée sur le web. Notre site, tvr.bzh, répondait à nos besoins (disponibilité de nos contenus en replay, possibilité de partager nos programmes avec un player vidéo exportable, etc.) mais nous étions assez peu présents sur les réseaux sociaux.
Nous savions qu’il était indispensable de faire évoluer nos méthodes de travail pour répondre aux nouveaux usages, aux nouvelles attentes du public. Il s’agissait bien de transformer notre état d’esprit, pour ne plus penser seulement TV mais penser média vidéo d’intérêt local disponible sur tous les supports.
« Je ne pouvais pas dire aux équipes qu’elles allaient travailler autant et en plus gérer les réseaux sociaux, etc. Il fallait faire des choix. »
L’idée maîtresse de cette transition était de produire moins de programmes pour l’antenne pour mieux les accompagner sur les supports numériques, de repenser aussi les rythmes de production qui étaient entièrement calés sur la diffusion télé. Concrètement, comment cela s’est-il mis en place ?
A.R. : Je ne pouvais pas dire aux équipes qu’elles allaient travailler autant et en plus gérer les réseaux sociaux, etc. Il fallait faire des choix. Or nous produisions beaucoup pour l’antenne, au-delà du volume imposé par notre convention avec le CSA, et il fallait laisser le temps à l’équipe d’apprivoiser ces nouveaux vecteurs d’information.
Nous avons donc décidé de réduire la récurrence de certains magazines, notamment, pour avoir le temps de mieux les travailler et de créer des contenus dérivés et associés pour aider à la communication autour de ces programmes, “marketer” en quelque sorte nos contenus pour qu’ils émergent face à une offre d’information pléthorique.
Les équipes éditoriales sont désormais accompagnées par une community manager, qui encadre la stratégie digitale et gère la présence de la marque TVR sur les supports numériques.
Nous avons également mis en place un dispositif de formation tout au long de l’année avec une société rennaise spécialisée dans la gestion des réseaux sociaux, Webpatron, pour continuer à faire évaluer nos pratiques, réfléchir à notre utilisation des nouveaux outils, etc.
Au-delà de l’offre de programmes en replay, vous avez cherché à renforcer votre présence sur les réseaux sociaux, notamment en créant des pages Facebook pour les principales émissions de la chaîne. Pourquoi ce choix ? Pour se rapprocher de vos téléspectateurs ?
A.R. : Au départ, il nous semblé être une bonne idée de créer des pages Facebook spécifiques à chaque émission. Cela marche en effet très bien quand il s’agit d’un programme avec un public captif, comme Pleine Lucarne, notre émission consacrée à l’actualité du Stade Rennais F.C. Une véritable communauté de passionnés, directement animée par notre journaliste Vincent Simmoneaux, qui prépare et présente l’émission, s’est créée autour de cette émission et elle est très active.
Pour les autres programmes, j’avoue avoir quelques doutes. Ce n’était pas forcément un bon choix de multiplier les pages Facebook, car cela disperse l’engagement auprès de la chaîne, de la marque TVR.
« L’idée est bien de travailler la convergence entre les supports TV et web, et de non pas les opposer. »
Cette transition a-t-elle été plus difficile à accomplir pour les JT que pour les magazines ? Pour quelles raisons ?
A.R. : Il est vrai que pour les magazines, cela s’est fait assez vite et très naturellement car les journalistes porteurs de ces émissions ont tout de suite eu des retours, ont vu l’intérêt de produire des contenus dérivés, des teasers par exemple, de les partager, d’interagir avec l’audience, etc. Ces retours directs et quasi-instantanés sont très valorisants.
Pour le JT, c’est une approche différente. Les équipes sont engagées dans une course quotidienne pour sortir leurs sujets à temps pour l’émission du soir. Nous sommes donc allés par étape : commencer par prendre une photo ou une courte vidéo sur le lieu du tournage et la partager tout de suite sur Twitter ou Facebook, tout en renvoyant au TVR Soir pour plus d’infos.
L’idée est bien de travailler la convergence entre les supports TV et web, et de non pas les opposer. Nous produisons également régulièrement de courtes vidéos « sommaire du jour », qui sont partagées à l’issue de la conférence de rédaction du matin. Nous expérimentons différents formats, sans se donner trop contraintes !
Vos équipes produisent aussi des contenus spécifiques pour les supports numériques, qui ne passent pas à l’antenne. Lesquels ? Quels sont ceux qui marchent le mieux ?
A.R. : Nous produisons des bande-annonces de programmes spécifiquement pour les réseaux sociaux, qui sont bien partagées.
Plusieurs de nos magazines connaissent également un prolongement uniquement pour le web : 25’ sont diffusées à la TV et une partie complémentaire est destinée au web. Nous le faisons notamment pour notre émission économique, le TVR Business Club et pour Pleine Lucarne, sur le Stade Rennais F.C. avec « le temps additionnel ».
Ces dispositifs, peu impactants en production puisque nous continuons le tournage, fonctionnent bien car nous pouvons adopter un ton différent, pour un public plus spécialisé, vraiment concerné par la thématique.
Les contenus du type webdoc, webfictions ou longs formats interactifs font-il partie de votre nouvelle stratégie ?
A.R. : Nous sommes co-producteurs de quelques webdocs, ce sont de beaux formats, très qualitatifs, après j’ai beaucoup plus envie d’aller vers de la websérie, en effet. Nous allons d’ailleurs tester la diffusion d’une série uniquement sur notre site prochainement.
« Se transformer, c’est une question de survie pour des médias comme le nôtre. Et en même temps une vraie chance. »
Il y a toujours des freins en interne – culturels, économique ou techniques – quand on engage ce type de chantier. Comment avez-vous procédé pour mettre tous les salariés de la chaîne en mouvement et changer les habitudes de travail ? A-t-il fallu engager un plan de formation global sur le numérique ? Cela a-t-il suffit ?
A.R. : Avec l’équipe de direction, je crois que nous avons été clairs sur la nécessité de se transformer, c’est une question de survie pour des médias comme le nôtre. Et en même temps une vraie chance. En effet, nous étions déjà dans ce lien d’hyper-proximité avec nos téléspectateurs.
En télévision locale, nous avons l’habitude des retours directs car nous les croisons au coin de la rue. Les réseaux sociaux renforcent ce lien. Les habitants se sentent encore plus proches de leur chaîne car nous répondons toujours à leurs demandes, à leurs messages.
« L’économie de la production de contenu sur le web est finalement assez proche de celle des télévisions locales. »
L’équipe de TVR est composée de personnes très expérimentées, qui connaissent parfaitement le territoire et de plus jeunes, qui amènent un nouvel état d’esprit « digital native ». Ce sont tous de très bons professionnels et des passionnés de l’info locale qui ont l’intelligence de s’ouvrir à la réflexion proposée, de répondre présents lors des formations, de s’impliquer auprès de notre nouvelle community manager.
Bien sûr, il faut prendre le temps de l’apprentissage des nouveaux outils (comment ils fonctionnent, quel est leur impact, etc.) mais nous avons la chance de pouvoir mener des transformations qui n’ont pas trop d’impact financier sur la chaîne.
L’’économie de la production de contenu sur le web est finalement assez proche de celle des télévisions locales. Tout comme l’ouverture d’esprit, l’agilité et la souplesse qui sont des qualités bien ancrées chez nous !
Un an après, quels sont les grands changement que vous constatez au niveau des pratiques de la rédaction ? Et des équipes techniques ?
A.R. : Nous avons maintenant constamment le nez sur Google Analytics, le nombre de partages sur Facebook ou le nombre de retweets ! J’exagère un peu mais de manière générale cela nous permet d’avoir des retours directs sur notre travail, d’essayer de comprendre ce qui marche bien ou moins bien, ce qu’attendent les habitants qui nous suivent.
Malgré tout, nous ne négligeons pas ceux qui nous suivent uniquement à la télé, qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreux, nous veillons bien à la convergence des supports.
Qu’est-ce que votre présence sur le web et les réseaux sociaux vous a appris sur votre audience ?
A.R. : Nous subissons assez peu de bashing, nous sentons une vraie appropriation des internautes et des habitants du 35, nous sommes leur chaîne, avec laquelle ils peuvent échanger. Nous avons d’ailleurs complété ce dispositif par des portes-ouvertes « physiques » de la chaîne en mars, pour nous rapprocher encore de notre audience. Casser l’écran qui nous sépare ! Ce fut un vrai succès.
Quelques chiffres à partager pour mesurer l’impact du chantier engagé par TVR sur le numérique ?
A.R. : Oui. Notre programme court « Le Journal des Transmusicales » a été vu plus de 100 000 fois par exemple, car il a bien été partagé sur les sites de nos partenaires (Ouest-France, et Les Transmusicales notamment).
Notre site web a connu un nombre de visites accru de l’ordre de 50 % certains mois, en fonction des événements. Nos comptes Facebook et Twitter sont en augmentation constante depuis leur création.
Au final, êtes-vous en mesure d’évaluer l’impact de cette transition numérique sur votre politique commerciale ?
A.R. : Quand nous vendons des programmes courts parrainés, par exemple, les clients et partenaires n’achètent plus uniquement de l’espace TV, ils achètent un produit exploitable sur tous leurs supports, dont leurs sites web, puisque nous mettons les vidéos à disposition grâce au lecteur embarqué.
Nous avons fait le choix ne pas « sortir » nos vidéos sur Youtube, etc. Tous les programmes sont également disponibles en replay sans limitation de durée sur notre site web tvr.bzh, qui, lui, est visité entre 180 000 et 200 000 / mois. C’est désormais un argument de vente indispensable et cela nous permet de développer notre production de programmes courts.
« Nous maîtrisons la qualité de diffusion de nos contenus »
Ce choix de développer votre propre player plutôt que de diffuser vos vidéos via Dailymotion ou YouTube vous démarque de nombreuses télés locales. Pourquoi l’avoir fait ?
A.R. : C’est un vrai choix effectivement, qui remonte à 2012. Nous diffusons quelques contenus (des teasers ou des bonus) sur les plateformes vidéos, mais l’essentiel de nos programmes est accessible via notre player vidéo exportable.
Nous maîtrisons ainsi la qualité de diffusion de nos contenus, nous connaissons précisément le trafic occasionné, y compris quand il provient d’un autre site qui a embarqué notre player, nous savons exactement où partent nos vidéos.
Cela nous permet aussi de nouer des partenariats forts avec d’autres sites web, sans pour autant disperser l’audience car nous constatons que les internautes sont toujours plus nombreux à venir regarder les programmes sur tvr.bzh.
Allez-vous à l’avenir publier vos vidéos directement sur Facebook ou y faire du live puisque c’est dorénavant possible ?
A.R. : Oui, bien sûr, nous utilisons déjà un peu Périscope, mais attendons bcp de Facebook live. Pour nous, ces outils sont complémentaires à ceux que nous utilisons depuis toujours en diffusion TV, il faut les apprivoiser.
Quelle la prochaine étape numérique pour TVR ?
A.R. : Aujourd’hui, il faut avant tout garder le rythme sur la durée, ne pas se reposer sur ces nouveaux acquis, continuer à tester de nouveaux outils pour renforcement l’engagement auprès de la chaîne. Nous avons encore du travail à ce niveau-là.
De quoi êtes-vous la plus fière ?
A.R. : De la capacité de tous les membres de l’équipe à avoir compris immédiatement que ce changement de paradigme et ces évolutions professionnelles étaient indispensables. Quand vous avez la chance de piloter des personnes aussi motivées, vous ne pouvez pas vous plaindre !
Un dernier conseil pour un média local qui voudrait accélérer sa transition numérique ?
A.R. : Prendre le temps de définir sa stratégie et fonctionner par étape, pour que chacun puisse s’adapter à son rythme. Et puis prendre du plaisir, avoir le droit d’expérimenter sans que ce soit parfait au départ. On parle bien d’interactivité, d’échanges avec notre audience, c’est très stimulant !
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