13 octobre 2016
Petit tour du monde des contenus en réalité virtuelle
Urszula Gleisner, productrice transmédia globe trotteuse, nous emmène faire un petit tour du monde de la réalité virtuelle au service du storytelling et de la narration. Après avoir monté sa propre entreprise en production transmédia et stratégie digitale, Urszula travaille aujourd’hui sur la version polonaise du festival Learn Do Share, dédié aux nouvelles écritures.
La réalité virtuelle n’est pas un concept nouveau et existe depuis les années 80. Simplement, la technologie s’est vraiment révélée en janvier 2012 avec le projet Hunger in L.A. de Nonny de la Peña, journaliste américaine considérée comme la pionnière de la réalité virtuelle plaidant pour un journalisme immersif.
Le documentaire nous immerge dans une file d’attente pour une banque alimentaire de Los Angeles où l’on assiste au malaise d’un homme diabétique, victime d’une crise d’hypoglycémie. Le projet était exposé au festival de Sundance aux États-Unis (l’un des plus importants festivals de cinéma au monde) et l’expérience fut pour le moins troublante, suscitant de vives réactions chez les utilisateurs qui se sentaient physiquement présents dans la scène et impuissants face à cet événement.
Dans la même veine, Project Syria visait à créer une vraie prise de conscience sur les conséquences humanitaires de la guerre en Syrie en se focalisant sur la question des enfants réfugiés. On peut y suivre une petite fille dans les rues syriennes dévastées par les bombardements. Ou encore le projet Across The Lines, qui mêle images de synthèse et vidéo 360° et dans lequel le spectateur incarne une jeune femme enceinte qui doit fait face à des militants anti-avortement devant un centre de planning familial. La journaliste propose ainsi une immersion au cœur du récit dans des œuvres documentaires et souhaite porter notre attention sur des projets sociaux à grande valeur.
À cette époque, Palmer Luckey était alors stagiaire au sein de la société de la journaliste, Emblematic Group, spécialisée dans les formes innovantes de journalisme, lorsqu’il a créé la première version de l’Oculus Rift, casque de réalité virtuelle racheté deux ans plus tard par Facebook pour 2 milliards de dollars. Ensuite, tout s’accélère. En juin 2014, Google lance son célèbre casque de réalité virtuelle en carton, le Google Cardboard suivi de près par Samsung en septembre 2014 avec son casque Samsung Gear VR.
En avril 2015, c’est du côté des médias qu’on voit fleurir quelques initiatives avec le Wall Street Journal qui lance une application de visite interactive en réalité virtuelle du NASDAQ et évoque les différentes périodes historiques du marché boursier et le New York Times, qui envoie un million de cardboards à ses abonnés pour utiliser son application “The Displaced”.
Pendant une dizaine de minutes, le documentaire raconte l’histoire de trois enfants du monde dont les vies ont basculé à cause des guerres. Puis en juin, c’est au tour de la chaîne publique anglaise BBC de se jeter à l’eau, avec son pôle de recherche qui propose une visite à 360° de la jungle de Calais.
“C’est un peu la guerre des constructeurs.”
Sur le top 10 des entreprises technologiques dans le monde, 8 investissent dans la réalité virtuelle (Sony, Samsung, HTC, Google…).
À l’instar de l’Oculus Home qui permet de télécharger jeux vidéos, documentaires et films si l’on dispose d’un casque Oculus, Samsung a lancé sa propre plateforme “Milk VR” pour imposer son casque de réalité virtuelle Samsung Gear VR sur le marché. D’autre part, Google a lancé Day Dream pour fournir une expérience VR premium via les smartphones.
Les tendances du storytelling par la réalité virtuelle
Felix and Paul, l’un des chefs de file de la VR au Canada, a mis au point une plateforme pour la réalité virtuelle qui inclut un système de caméras 3D et 360°. Son projet, « Au cœur de la boîte de Kurios », réalisé avec le Cirque du Soleil, propose une expérience à mi chemin entre le jeu vidéo et le film pour plonger le spectateur au cœur d’un spectacle.
Time machine VR, un autre projet canadien, savant mélange entre jeu vidéo et documentaire qui nous transporte dans les fonds marins à l’ère du Jurassique. Le topo ? Le spectateur incarne un scientifique qui a pour mission de récolter des données indispensables pour la survie de l’humanité mise en péril par un virus mortel. Développé par le studio Minoriy Media pour les casques Oculus Rift et HTC Vive.
Chernobyl VR Project propose une visite virtuelle de Tchernobyl à travers une combinaison subtile de jeu et de documentaire interactif pour mieux connaître le lieu et son histoire. Le studio polonais “The Farm 51” a créé son propre moteur et utiliser des quantités énormes pour recréer fidèlement la ville abandonnée.
À mi-chemin entre le photo reportage et l’interview fictive, “The Ennemy” permet, grâce à des capteurs et un casque de réalité virtuelle, d’évoluer dans une pièce où l’on peut écouter tour à tour un soldat israélien et un soldat palestinien. À l’origine du projet, l’éminent correspondant de guerre et photojournaliste Karim Ben Khelifa, en quête de nouvelles pistes pour engager le public émotionnellement sur le sujet de la guerre. Vraiment rencontrés in situ, les personnages interviewés par le photoreporter, ont été remodélisés par la suite avec une voix-off. Ce projet, à la croisée de la science, du journalisme et de la technologie, propose une expérience immersive qui bouscule les représentations traditionnelles de la guerre.
“ Le niveau de connection émotionnelle est très fort pour les personnes qui vont regarder les contenus en 360° et en VR ”
Enfin, autre exemple cité par Urszula, “Le goût du risque”, une expérience documentaire en réalité virtuelle produite par France Télévisions en partenariat avec des studios de production et chaînes de télévision. L’idée est de glisser l’utilisateur dans un la peau d’un sportif de l’extrême pour mieux comprendre la philosophie de sa pratique et cerner les enjeux de telles disciplines. Son spatialisé, vidéo 360°, datavisualisations en surimpression de l’image… L’app de réalité virtuelle propose une réelle immersion dans l’univers de trois sportifs français de l’extrême. Frissons et sensations garantis !
En France, TF1 s’est associé à Digital Immersion pour diffuser des vidéos 360° en direct sur Internet à l’occasion des primes de l’émission “The Voice”. L’idée ? Permettre au spectateur de vivre la soirée depuis son salon, mais comme si il faisait partie du public.
Dans la même veine, D8 diffusait via son application certains passages de candidats La Nouvelle Star, en live et à 360° (avec un casque VR) pour accompagner la diffusion de la 12ème édition de l’émission.
De son côté, Arte a lancé une application gratuite, immersive et interactive, pour Smartphones et tablettes : Arte360, disponible sur Android et iOs où elle y décline des programmes (fictions, documentaires…).
Dans le monde, la chaîne allemande ZDF teste des pastilles en réalité virtuelle. La chaîne américaine ABC News nous révèle à travers l’un de ses documentaires visionnable sur application mobile à l’aide d’un cardboard, le patrimoine historique de Damas filmé en 360°, qui doit être préservé malgré le conflit syrien. Toujours Outre-Atlantique, la chaîne Discovery a lancé sa propre application VR où l’on peut par exemple découvrir les coulisses des documentaires en 360°. La chaîne américaine de documentaire Discovery a lancé sa propre plateforme de réalité virtuelle, Discovery VR en 2015 et la chaîne d’info MSNBC a mis au point une application VR “Lockup 360” pour accompagner la nouvelle saison d’une série documentaire sur les prisons.
En France, le rôle du secteur public de l’audiovisuel est déterminant et les acteurs qui investissent le plus en réalité virtuelle sont France Télévisions, Arte et le CNC.
Le potentiel journalistique de la réalité virtuelle est vaste et nous montre à quel point les professionnels de l’information vont pouvoir s’emparer de nouvelles formes de storytelling.
“Même si le potentiel est énorme, le marché est encore petit. On ne sait pas encore comment ça va se développer et si ça sera comme pour les Google Glass.”
Encore peu de personnes disposent de casques et les cardboards, bien qu’accessibles, ne procurent pas la même expérience que les autres casques. La réalité virtuelle, en plus des investissements technologiques, implique l’apprentissage d’un nouveau langage.