Médias : alors, cette R&D, ça vient ?

En 2016, Ouest Médialab terminera son premier cycle de 3 ans et entamera le suivant. Avons-nous fait ce que nous avions dit qu’on ferait ? Que n’avons-nous pas fait ? Qu’aurions-nous pu faire d’autre ? Jeanpierre Guédon, président du cluster, fait le point.

« J’ai parcouru le compte-rendu de la réunion des partenaires datant de novembre 2012. La plupart des activités prévues ont bien été réalisées.

Parmi elles, l’information et veille du cluster, avec le site web, les newsletters mensuelles qui se sont étoffées grâce aux contributions des adhérents et depuis l’arrivée de Mathilde, et bien sûr les ateliers HybLab, qui se sont développés au-delà de nos espérances, permettant aux médias de travailler des projets avec des étudiants d’horizons divers, de se former aux nouvelles écritures numériques et d’atteindre des résultats de plus en plus probants.

Le développement de compétences a été au centre des activités de Ouest Médialab depuis 3 ans. Outre les HybLab, on peut mentionner les ateliers StoryCode Grand Ouest sur le transmédia, lancés en 2014, ou encore le Médialab SpeedTraining qui a réuni près de 400 participants en 2015.

Et 2016 débute avec l’ouverture de la première fournée du Diplôme Universitaire DATA MEDIAS, concocté par l’Université de Nantes et le Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris avec le concours de Ouest Médialab. Le cluster – qui compte aujourd’hui plus de 100 adhérents – est bel et bien lancé.

Formidable me direz-vous mais quid de l’activité de recherche & développement qui nous motivait tant à la création du cluster  ? Comme c’est aujourd’hui le standard, notre association repose sur le triangle vertueux (ou cercle si vous n’aimez pas les coins) de la pédagogie, des entreprises et de l’innovation.

Cette dernière étant constituée de 2 pôles assez différents : l’innovation d’usages et la R&D. Mais dans les deux cas, notre rôle était d’aider au montage de projets innovants, de trouver les bons partenaires dans l’écosystème, d’être le relai auprès des structures d’aides à l’innovation et des incubateurs, de permettre aussi l’émergence d’un AAP (appel à projet) régional sur les médias numériques.

Les deux directeurs de Ouest Médialab ont beaucoup oeuvré dans ce sens depuis 3 ans. Ils ont passé au crible les chantiers numériques des uns et des autres, créé des ponts chaque fois que cela était possible, rencontré de nombreux porteurs de projets pour discuter de leur développement.

Ces discussions ont souvent permis aux acteurs d’avancer vers le chemin de R&D mais la plupart du temps seuls, sans s’entourer de partenaires technologique ou académique. Le catalogue H2020 a fait une petite place pour ce type de projet au niveau Européen et un projet a été soumis.

Il reste que la partie R&D n’est pas encore de la fête. Pour être tout à fait honnête, il faut dire que, d’une part, les aides directes aux médias n’encouragent pas ces derniers à monter des consortiums, et que, d’autre part, les aides versées à ces consortiums par les acteurs institutionnels de la Recherche (Régions et BPI pour les AAP régionales, Agence Nationale de la Recherche et Fonds Unifiés Interministériel au niveau Etat, et enfin l’Europe) sont devenues non « rentables » pour les entreprises et trop sélectives pour les laboratoires.

Au niveau de l’ANR, il n’y a par exemple plus qu’un seul appel annuel avec un pré-sélection de 1 projet sur 3 au premier tour et un second tour avec le même taux de chute. Certains labos (au vu des systèmes de notation des projets qui deviennent trop complexes) ont ainsi multiplié par 9 le nombre de projets soumis afin d’en avoir 1 qui passe à la fin ! La « non-rentabilité » de l’aide des financeurs est toujours difficile à mesurer.

Toutefois, on est souvent passé du système de 1 euro d’aide publique pour 1 euro investi par l’entreprise, à un système de prêts remboursables nettement moins avantageux. Déjà le premier système excluait de facto toute start up dans sa première vie où elle n’a pas encore le premier euro (car cet euro doit exister dans les bénéfices de l’année précédente !).

Pourquoi dans ces conditions des patrons de PME prendraient-ils le risque de constituer un groupement avec des chercheurs qui ne parlent pas la même langue qu’eux ? Bref, faire ce type de pari était osé il y a quelques années, il peut devenir dangereux pour la survie de l’entreprise aujourd’hui.

Tout cela veut-il dire que la R&D est incompatible avec les médias ? Certes non. Dans un contexte de menaces sur l’existence même des médias traditionnels que nous connaissons aujourd’hui, il n’existe que peu d’alternatives pour s’en sortir. L’une est toujours la R&D, l’autre étant le changement de business model.

On voit bien que les grands médias français (TV, radios, journaux) essaient le changement du business model en prenant en compte l’avènement du numérique et les nouveaux usages du public. Les chaînes de télé comme les journaux papier ont leurs versions sur Internet pour « voir ou revoir » les émissions ou « lire ou relire » les articles, moyennant un peu de pub ou bien un abonnement . On trouve même dans nos adhérents pas trop fortunés qui s’essaient aux « nouveaux services » comme la radio associative Sun avec son appli MySun par exemple.

Vous me direz que ces petites innovations ne modifieront pas la donne et ne suffiront pas à ré-inventer les business model. Certes.

L’an dernier, je pointais du doigt les premiers robots rédacteurs de nouvelles. Cette année, la R&D a vu la vague arriver. Celle du « deep learning », la nouvelle version de l’intelligence artificielle. A la fois appuyée sur le « big data » et sur des « logiciels » qui écrivent… des logiciels. Il a fallu que Bill Gates et Stephen Hawking s’en émeuvent pour l’on commence à les craindre. Avec quelques centaines de lignes, un logiciel est déjà capable d’apprendre à conduire. Il ne faudra pas plus de développement pour savoir réaliser une infographie…

Est ce que les « logiciels » vont remplacer l’homme comme l’automobile a remplacé le cheval ? Oui, certainement. Sur pas mal de travaux. Restera toujours une case pour le journaliste humain, celle de la déontologie. Car il arrivera un moment où l’on devra vérifier les sources du logiciel robot…

Et puis, l’enjeu n’est pas seulement technologique ou logiciel. Les besoins d’innovation des médias portent aussi sur l’éditorial, le design et la création de contenus ainsi que l’animation de la communauté de leurs lecteurs ou spectateurs. Sur ces aspects rédactionnels, formels et sociologiques, nous sommes dans le registre des sciences humaines et même souvent au croisement des SHS et du numérique, domaine transdisciplinaire qui représente un enjeu de taille pour les universités de notre région.

Autre voie à explorer pour favoriser le renouveau des médias, celle de l’incubation de projets au plus près de la R&D. On sait qu’une condition de réussite pour une start up est d’être au plus proche de sources de recherche, d’où la foison actuelle des incubateurs.

Pour avoir aidé ce type d’entreprises depuis plus de 20 ans, je sais que l’échange permanent entre les chercheurs qui innovent dans leur métier de tous les jours et ceux qui lancent de « nouveaux produits » est une des clés pour savoir adapter un business model en fonction d’opportunités qui se font jour souvent de façon non rationnelle. C’est vrai pour une start up comme pour un grand groupe de presse prêt à explorer de nouvelles pistes. En 2016 et au-delà, le labo Ouest Médialab répondra présent pour réussir cette alchimie. »

Robot rédacteur – Chris Isherwood/Flickr/CC

Jeanpierre Guédon

About Jeanpierre Guédon

Président du cluster et professeur à Polytech - Université de Nantes

1 Comments

  1. Sylvain Corvaisier

    En terme d’innovation J’ai personnellement plutôt vu au sein du cluster une tendance à utiliser/promouvoir les outils américains, jusque dans les journées de formation (même lorsque ces outils sont moins innovants, de mauvaise qualité) de façon systématique. Je n’en connais pas la raison, si ce n’est que « tout ce qui vient de la Silicon Valley » est forcément meilleur peut-être ? Ou peut-être parce que les media traditionnels après avoir vécu de subventions, vivent aujourd’hui de fonds Google ? Beaucoup de déception entre la présentation qui nous avait été faite du cluster au début qui devait rapprocher les medias des entreprises du secteur.

    Encore ce matin, j’ai vu une belle preuve de cette innovation dans les medias, quand on m’a demandé de répondre à une question sur mon intérêt pour Disneyland avant de pouvoir lire un article. j’ai donc vite rebroussé chemin (et je suis je pense perdu pour longtemps pour cette publication)… n’ayant même pas de ce fait vu les immondes publi-reportages (où est l’éthique qu’on nous vante tout le temps) de Taboola. Si les medias traditionnels n’innovent qu’en essayant de maximiser l’espace publicitaire, le click et le tracking avec Google, Criteo et Taboola, je crains qu’ils ne perdent rapidement leurs usagers (qui n’ont pas ces problèmes avec les pure players bizarrement plus respectueux de leurs lecteurs)… pour les rares qui ne sont pas déjà perdus.

    On pensait que le cluster serait un bon vecteur en tant que société technologique d’atteindre des acteurs perdus face à la technologie, pour leur faire prendre conscience que leur richesse c’est leur contenu, et que c’est bien pour cela que les acteurs américains veulent se l’accaparer, et bien non, le cluster n’aura fait que les rendre encore plus dépendants (si tant est qu’ils en avaient réellement besoin) de Facebook, Twitter, Google et consorts avec des vues très court terme. On va continuer notre chemin qui est de s’adresser au marché export à 90%. Nul n’est prophète en son pays, surtout dans le nôtre.

    La R&D ne peut servir que si on a envie de s’en servir.

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