27 février 2017
Audiovisuel : le smartphone trouve sa place dans les rédactions
Principal support de consommation de vidéos, le mobile va-t-il aussi devenir l’outil numéro 1 de production de reportages ? Léger, polyvalent et connecté, le smartphone suscite autant d’espoirs que de fantasmes dans les rédactions. Les “Rencontres francophones de la vidéo mobile”, organisées par Samsa à Paris le 2 février, ont permis de jauger le potentiel technique et les promesses éditoriales du “Mojo” (mobile journalism).
Le smartphone est devenu en 2016 le premier mode de consommation des contenus vidéos. Les 16-30 ans lui consacrent même deux fois plus de temps que la télévision (enquête TNS SOFRES). “Ce doit être désormais l’écran étalon, celui à partir duquel on va penser l’expérience utilisateur”, a martelé Eric Scherer, Directeur de la prospective à France Télévisions. Dans certaines rédactions, on va même plus loin : le smartphone est devenu l’outil autour duquel s’organise la chaîne de production. C’est le cas dans la télé locale suisse Léman Bleu, BFM Paris ou encore RMC.
Un évènement comme les “Rencontres francophones de la vidéo mobile” organisées par Samsa à Paris était sans doute impensable il y a encore 3 ans. Dans le petit monde de l’audiovisuel, tourner et monter avec un mobile était synonyme de bricolage et d’amateurisme. Une affaire de “geeks”, en somme. Cette méfiance, en partie justifiée, a été très vite démentie par l’amélioration fulgurante des processeurs et des capteurs. Et surtout par les nouvelles contraintes des rédactions : produire et diffuser vite, se fondre dans la foule, diminuer les investissements.
Cet engouement pour la vidéo mobile est aussi porté par quelques faux espoirs. Le smartphone ne peut remplacer à lui seul le parc technique d’une télévision locale. Sauf à réduire considérablement ses ambitions éditoriales. L’expérience la plus pragmatique est sans doute celle relatée par le directeur de Léman Bleu, une télévision locale suisse. “ Il ne faut pas forcer le trait, le mobile ne se prête pas à tout, observe Laurent Keller. Mieux vaut laisser cohabiter les différents outils.”
Sa rédaction a réalisé tous ses JT de l’été 2015 avec des smartphones. Le résultat est plutôt convaincant. “Mais à la rentrée, on s’est mis à paniquer. Les sujets étaient plus compliqués à tourner, se souvient Laurent Keller. On s’est accrochés, nous avons subi pas mal de problèmes techniques, des crashs antenne… Aujourd’hui, nous mixons l’utilisation de caméras professionnelles et de smartphones, qui nous permettent d’organiser un direct très rapidement.”
Interview de Laurent Keller, Directeur de Léman Bleu Tv
Ce n’est pas sa caméra qui donne au smartphone son rôle central. Elle reste (et restera du fait de la taille contrainte de l’appareil) moins performante qu’une petite caméra semi-professionnelle. Son capteur est encore limité en basses lumières et sur les mouvements rapides. Son véritable atout réside dans sa connexion à internet et son système d’exploitation (Android ou iOs), qui lui permet de monter des reportages complets, de les diffuser et de contrôler son audience.
Si les médias s’intéressent à cette tendance du “Mojo”, c’est qu’ils y voient une manière de simplifier la fabrication d’un reportage en limitant le nombre d’outils et d’intervenants. Les créateurs de “City Producer” d’ailleurs fait un tabac lors des rencontres video mobile. Cette application iOs (optimisée pour iPhone7) devrait sortir en septembre 2017. Elle permettra de filmer, monter et diffuser avec un qualité proche des exigences broadcast. Ses créateurs, des professionnels de l’audiovisuel, veulent séduire les chaînes en intégrant des réglages jugés indispensables par les cadreurs (mise au point et diaph manuels, zebras, picking, niveau d’entrée son, oscilloscope,…). Ils ont aussi prévu des ponts vers la chaîne de production traditionnelle. Il sera ainsi possible d’exporter un montage débuté sur le smartphone vers un logiciel de montage pro (Final Cut X).
Face à eux, les constructeurs de matériels de tournage broadcast n’ont pas vraiment anticipé ces nouveaux besoins. Les nouvelles caméras n’intègrent toujours pas de solutions logicielles de montage et de diffusion en mobilité, mais seulement quelques timides intentions (connexion wi-fi, enregistrement proxy…) Seuls les fabricants de matériel de transmission (Aviwest, Teradeck, LiveU) ont pris la mesure de ce poids grandissant du smartphone dans la chaîne de production.
“A mon sens, l’atout du mobile, c’est sa légèreté, insiste Laurent Keller. La légèreté du matériel favorise la créativité et l’engagement des journalistes.” Elle permet aussi au journaliste d’apaiser ses relations avec le “terrain”, où la présence de caméras professionnelles n’est pas toujours tolérée. Les reporters de BFM Paris l’ont constaté lors de leurs interviews. Depuis le lancement de cette chaîne d’actu locale, ils réalisent tous leurs sujets avec un smartphone, équipé d’un poignée et d’un micro externe. L’absence de zoom sur ces “caméras” oblige le journaliste à se mêler davantage aux scènes qu’il filme.
L’audience importante générée par les vidéos, quelle que soit leur qualité, a aussi pu induire en erreur certains professionnels de presse écrite et de radio, qui en ont conclu que la qualité technique des contenus importait peu. La plupart sont en train de rectifier le tir et investissent désormais dans des formations professionnelles. Car le reportage vidéo a ses règles techniques et sa grammaire, qui permettent de le différencier de la production du grand-public, principal concurrent désormais des médias.
Philippe Couve, Directeur de Samsa.fr, fait le bilan de ces rencontres francophones de la vidéo mobile.