13 novembre 2025
Retour sur le JournalismAI Festival 2025
Les 11 & 12 novembre, Polis (LSE) organisait l’édition 2025 de son festival annuel JournalismAI, dédié à l’usage de l’IA dans les médias. Nous avons suivi plusieurs conférences à distance. Voici ce qu’on a retenu.
When newsroom become a lab ?
Uli Koppen ( responsable IA – Bayerischer Rundfunk, média public allemand)
“L’IA est un véhicule intéressant pour :
- permettre de mettre nos données en ordre
- favoriser le travail en équipe interdisciplinaire”
“Nous travaillons à vectoriser toutes nos données (texte, vidéo, audio) pour permettre de la recherche sémantique et travailler des verticales”.
Partenariats avec d’autres médias
“Nous avons collaboré avec Ippen, groupe de médias privés en allemagne et la ville de Munich et son service Munich.de pour mettre en place un chatbot durant l’Oktoberfest. Notre contenu est combiné avec le contenu de deux autres médias et un fournisseur d’infos Munich.de. Nous en tant que radio/télé publique nous pouvons répondre à certaines questions mais pas toutes. Par exemple, sur l’infoservice, on sera moins bon que la ville de Munich. Nous l’avons mis en place pendant 3 semaines. Et nous analysons actuellement le trafic sur notre site”.
Optimisation du workflow
Il faut regarder le workflow en premier. Mon rêve serait d’avoir une force interne pour chaque département pour inventer de nouveaux workflow et l’AI arrive au-dessus de tout cela
Sannuta Raghu (Head of AI Lab – Scroll Media, média indépendant Inde)
“Pour nous l’IA apporte de réel rendement, ça nous permet d’accroître notre travail et de nous focaliser sur nos objectifs, à savoir faire des reportages d’investigation On ne fait pas de volume”
Sur l’usage de l’IA dans la rédaction
“Comment on peut personnaliser le format pour permettre à nos lecteurs de lire dans le format qui les intéresse. Par exemple: un article de 500 mots en texte sur le budget d’un événement en Inde : si on veut le présenter sous la forme d’un arbre de décision ou un calculateur ? On peut le faire avec l’IA parce qu’on a des données structurées. L’utilisateur peut sélectionner le format qu’il souhaite.”
Un gros échec ? La sur-optimisation
“En 2022, on a tenté l’expérimentation sur l’aide à la titraille sur nos 500 000 articles. On les a tous mis en LLM pour identifier des patterns. Les éditeurs ont détesté : il n’y avait aucune opportunité pour quelque chose de nouveau. De la même façon, nous avions créé des avatars de nos journalistes, en travaillent pendant 3 mois pour faire en sorte que les mouvements de bouche soient les plus fidèles possibles. Notre audience a détesté. Pourquoi a-t-on besoin d’un avatar pour nous raconter l’info ?”
AI for small newsrooms : lessons from the JournalismAI Innovation Challenge
Les obstacles auxquels font face les petites rédactions
- travailler sur des budgets contraints
- avoir des ressources limitées
- manque d’expertise technique
Les chiffres clés du programme
35 newsrooms / 22 pays / 9 mois
10 idées soutenues à hauteur de 250 000 dollars
25 idées soutenues à hauteur de 50 000 dollars
Les thèmes des projets
- Nouveaux formats
- Accroissement de l’abonnement
- Lutte contre la désinformation
Les formats des projets
- Chatbot pour engager le public
- Un tracker de fausses informations
- reformatage de contenus
- la détection de fausses informations
- l’amélioration du workflow dans la rédaction
L’expérience du Daily Maverick (South Africa)
51-100 personnes
Objectif: comment booster l’adhésion des membres ?
3 aspects : acquisition, engagement, retention
Ils ont développé:
- l’outil Revenue360 pour optimiser la landing page, avec notamment une heat map pour voir les clics.
- Daily Maverick Connect platform : une sorte de réseau social pour les membres afin d’avoir un engagement significatif
- Impact engine : un outil pour mesurer l’impact de leurs enquêtes
L’expérience de The European Correspondent (Switzerland)
10-20 personnes dans l’équipe
Objectif : Comment maximiser les ressources et fournir des retours à des journalistes à travers l’Europe ?
Ils ont développé l’outil Device Vika : un éditeur compagnon qui sert d’aide à la décision pour les journalistes
- il suggère des modifications et commentaires sur les brouillons des journalistes
- il vérifie la correspondance au style, ton et au modèle de besoins de l’audience.
- Systems me de priorisation à 2 niveaux
Impact du programme
96% des participants avaient un prototype fonctionnel ou un outil en place
70% ont amélioré leur workflow
39% ont réussi à atteindre de nouvelles audiences
Build or buy tools ?
Astrid Maier, DPA (agence de presse allemande)
Travaux en cours
“Nous construisons beaucoup de choses en interne : CMS avec suggestions de titres et teasers, de nombreux GPTs et agents spécialisés. Nous cherchons à identifier de nouveaux angles, transformer un article en FAQ. Ce que l’on fait est assez low-tech.
“Notre groupe « AI Pathfinder » se réunit tous les deux semaines. On a une bibliothèque de prompts créée par nos codeurs.“
Travail avec des partenaires
“Dans certains cas, nous devons aller vite : la vitesse de mise sur marché est notre KPI principal. Plutôt que d’acheter des solutions sur étagère, nous montons des partenariats.”
Un cas d’usage : des archives enrichies par l’IA
“Les utilisateurs accèdent à notre site et ont accès à tous nos articles. Nous voulions les faire payer pour cela. Pour ajouter de la valeur, nous avons voulu développer un RAG privé sur nos archives et le flux d’actualité. Le résultat est un bot qui leur permet de poser une question sur ces archives tout en faisant toujours référence à un article. Cela permet par exemple de faire un résumé rapide sur un sujet : ce qui m’aurait pris 3 heures me prend 3 minutes.
“Nous nous sommes associés à une startup de la Silicon Valley. C’était tout un processus. Nous voulions être prêts en 3 mois. C’est quelque chose dans lequel nous continuerons à investir.”
“Le RAG fonctionne bien. On est encore en phase bêta : pas d’hallucinations actuellement, mais parfois pas assez précis. On doit aussi former les gens à ce qu’ils doivent attendre de cet outil.”
Les évolutions à venir
“Nous produisons 300 à 500 articles par jour. Nous voulons créer des contenus verticalisés pour les clients, les personnaliser avec des voix IA, pas seulement du texte mais aussi de l’audio”
Exemple de problème : quand vous demandez à ChatGPT qui est le nouveau pape, il ne sait pas et donne l’ancien pape. Ou lors d’un flash : nous en avons fait 75, la machine ne voit personne dans le texte, elle pense que ce n’était pas important et ne le priorise pas.
Bon système maintenant.
Formation des utilisateurs
“Pour le sport, nos journalistes posent des questions comme : « Lister tous les coachs de cette équipe de l’année X à l’année Y, et on sait que c’est quelque chose que notre outil ne permet pas. On a mis en place des sessions de formation spécialisées pour les rédactions : montrer les cas d’usage vraiment utiles. Les gens attendent des machines qu’elles soient superpuissantes, ce n’est pas le cas”.
“Notre défi majeur : aller vite. Si nous construisons tout en interne, nous serons à la traîne. Si nous voulons tester des hypothèses, une startup qui ne fait rien d’autre que résoudre ce problème peut devenir un partenaire. Si nous construisons en interne, cela va nous prendre 3 ans.”
Jody Doherty-Cove, responsable IA, Newsquest Media Group (160 titres locaux)
La mise en place de reporters assisté par l’IA
“Nous avons un outil pour aider les journaliste à réaliser des brouillons d’articles à partir de communiqués de presse. Il n’y avait pas d’outils correspondant à nos besoins sur le marché. On a donc dû le construire nous-même.”
“Nous essayons d’avoir une approche holistique : avoir un journaliste produisant 700 articles, qu’est-ce que cela signifie pour le reste de la rédaction ? Il faut changer tous vos processus d’onboarding, de communication, vos objectifs.”
“On a l’impression que c’est le travail le plus ennuyeux, mais cela correspond à certains profils : les gens n’aiment pas prendre leur téléphone et aller sur le terrain.”
Reinventing the newsroom ?
Intervenant :Dmitry Shishkin, Ringier Media
“Une question fondamentale à se poser : pourquoi vous existez dans le monde, sur le marché ?
Certains médias ne savent pas expliquer pourquoi ils existent, et nous ne pouvons pas nous permettre cela dans le monde des LLM.”
Sur l’évitement de l’info
“Il n’y a pas en tant que tel un évitement de l’info. Vous devez simplement écrire l’info d’une manière particulière pour que les gens se connectent avec.”
Sur son travail l’année passée à Ringier
“Il est très difficile d’obtenir des données propres, surtout dans les médias traditionnels.”
“On a passé beaucoup de temps à nettoyer les données, avec l’objectif d’être plus visible aux LLM”.
Ontologie et taxonomie des données
Vous devez examiner chaque variable pour un article, pour votre URL.
“Sur un sujet donné, vous pouvez avoir un premier format incarné en vidéo “Educate me”, un format “Update me” sous forme de FAQ…. Cela est possible si votre ontologie/taxonomie est propre.”
Stratégie éditoriale : devenir de plus en plus niche
“Nous avons tous besoin de devenir aussi nichés que possible. Un média traditionnel, c’est une amalgamation de 50 niches.”
L’utilisation de l’IA aujourd’hui dans les médias
“Tout ce que nous avons fait sur les gains d’efficacité : la rédaction de titres, la transcription, c’est super ennuyeux. Personne ne s’en soucie. La multimodalité, c’est quelque chose qui m’enthousiasme vraiment.”
La multimodalité
“Pour vraiment tirer parti de la multimodalité, nous devons taguer notre contenu en fonction du format : reportages, interviews, etc.”
“Sur le tagging : le triangle d’or de l’évaluation du contenu, c’est la thématique, le besoin des lecteurs et le format.”
Culture d’entreprise
“Comment s’assurer que les gens se comportent réellement différemment dans vos rédactions et pensent différemment ? Une qualité clé pour moi dans le recrutement, c’est la flexibilité”.
Where do we go from here ?
Jane Barrett, Head AI Strategy (REUTERS)
“Comment réimaginer tout notre travail ? Nous avons maintenant un outil extraordinaire entre nos mains. L’IA s’inscrit dans notre stratégie pour servir notre stratégie. Ce n’est pas notre stratégie.”
Ezra Eeman – NPO (Organisation publique néerlandaise)
“Nous avons 50 projets en cours sur l’IA. Nous sommes encore à l’étape où nous devons relier les points, avoir un flux de données unifiées : données audio, vidéo, texte vectorisées. Nous sommes encore à l’étape de solidifier les bases”.
“Nous avons trois points :
– Le format : avoir plus de contenu interactif.
– Améliorer l’expérience de notre service : personnalisation, s’assurer que c’est plus accessible, réduire les barrières à l’entrée du service.
– Améliorer l’efficacité : ajouter de la valeur plus efficacement. Pas en coupant les coûts.”
Pourquoi 50 projets ?
“L’IA est encore très immature. Vous devez commencer de zéro, vous devez explorer : assistant IA contenu modérateur, flux radio vers podcast, analyse visuelle des talk-shows. Vous devez prototyper. Nous n’avons pas encore la superstructure pour construire dessus.”
Agnes Stenbom, responsable IA (Schibsted)
“Ce que nous avons offert par le passé en tant que média, ça ne sera pas ce que nous offrirons à l’avenir. Quelle sera notre valeur pour les gens à l’avenir ?”
“En tant que médias, voulons-nous être dans le futur dans le paysage médiatique IA ? Voulons-nous jouer ? Comment jouons-nous dans cet espace ?
“Au lieu de se poser la question est-ce que le journalisme risque de mourir, posons nous la question est-ce qu’on risque de manquer une opportunité ? Nous devrions nous inquiéter non pas de notre mort mais de notre échec à faire partie de ce monde avec l’IA.”
“Un des chemins vers l’échec selon moi, que beaucoup de médias prennent : c’est celui de l’efficacité, l’illusion de l’efficacité. C’est facile de confondre tempo, vitesse et progrès. Optimiser un workflow plus efficace dans un modèle fondamentalement cassé qui doit changer n’est pas un chemin que je suggère à une quelconque entreprise médias de prendre.”
“Il faut arrêter de se dire : les outils sont mauvais. Les outils sont très très bons. On peut leur faire confiance dans de nombreux cas d’usage. J’aimerais qu’on puisse passer à autre chose.”
Irene Jay-Liu, directrice IA, tech & régulation (International fund for public interest media)
“L’IA accélère la crise des médias. Les grands éditeurs nous disent que leur trafic est en baisse de 50 à 60 %.”
“Le modèle commercial va faire face à un effondrement complet. L’argent n’est pas encore là sur l’IA. Je pense pourtant qu’il y a une opportunité, un espoir. Nous sommes à un moment de grand changement. Les nouvelles façons d’accéder à l’information seront plus proches des applications de covoiturage ou de l’e-commerce.”
“L’industrie doit travailler ensemble, collaborer collectivement et se concentrer sur la valeur de la culture, du récit et de la connaissance.”
“L’adoption de l’IA est très différente en Amérique, dans de nombreuses parties de l’Europe et dans le reste du monde. L’IA n’est pas perçu universellement comme cette chose qui détruit le monde.”