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6 octobre 2025

Les médias en Bretagne : état des lieux, forces et singularités

Julien Kostrèche, intervenait vendredi 3 octobre en ouverture du colloque “Médias de proximité et Démocratie : la Bretagne, un laboratoire pour l’info de demain”. Le directeur et cofondateur de Ouest Médialab a dressé à cette occasion un état des lieux des médias bretons pour en souligner les forces et les singularités par rapport aux autres régions françaises. Voici son intervention.

En quoi le paysage médiatique breton est-il différent de celui des autres régions françaises ? Quelles sont ses spécificités, ses singularités ? Peut-on parler, concernant les médias locaux, d’une exception, voire d’un modèle breton ? C’est à ces questions que Julien Kostrèche, directeur de Ouest Médialab a tenté de répondre lors du colloque organisé à l’initiative de Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine et Loïg Chesnais-Girard, président du conseil régional de Bretagne.

Une région bien dotée en médias et en journalistes

Nombre de médias en Bretagne

164 rédactions locales ont été recensées par Ouest Médialab en 2025, soit un niveau comparable à celui des Pays de la Loire (183). Ce qui représente un total 109 médias différents.

Environ la moitié de ces rédactions appartiennent à des groupes de presse ou audiovisuels. Parmi ces rédactions, 85 ont comme support historique la presse et 54 la radio

Par habitant : avec 4,74 rédactions pour 100 000 habitants, la Bretagne affiche un taux plus élevé que les Hauts de France (2,94) ou la région PACA (3,66), mais un niveau comparable à celui des régions Pays de la Loire, Nouvelle Aquitaine ou Occitanie.

Conclusion : il y a bien une densité et une pluralité de rédactions et de médias en Bretagne, sans compter les nombreux médias des collectivités, la presse professionnelle ou les comptes ou pages des créateurs de contenus ou influenceurs locaux sur les plateformes et réseaux sociaux. Mais ce n’est pas sur le nombre de médias que se distingue vraiment la Bretagne.

Nombre de journalistes en Bretagne

Total en 2024 selon la CCIJP : 1 471, ce qui nettement supérieur au nombre de journalistes dans la région voisines Pays de la Loire par exemple (1059).

Cela représente 42,5 journalistes pour 100 000 habitants, ce qui est le plus fort taux en région, quasiment deux fois plus que dans le grand Est (21,6) et entre 10 à 15 de plus que dans la plupart des autres régions de France.

NB : il s’agit des journalistes qui résident en Bretagne, la plupart travaillent pour des rédactions de médias bretons, mais pas tous.

Un paysage médiatique breton atypique

Presse : la seule région à avoir encore deux grands quotidiens régionaux avec de nombreux journalistes

230 journalistes et 600 correspondants locaux de presse pour Le Télégramme, vaisseau amiral d’un groupe qui a su se diversifier dans l’événementiel (sport et culture) ou le secteur de l’emploi et de la formation (hellowork)

780 journalistes et 2 100 correspondants locaux de presse pour Ouest-France, premier quotidien en France et figure de proue d’un groupe (Sipa Ouest-France) qui compte 120 marques médias

Une concurrence qui apporte une saine émulation, et n’empêche pas des mutualisation de moyens sur la distribution ou des collaborations (Ouest Médialab en est un bel exemple)

La Bretagne compte aussi premier groupe de presse hebdomadaire régionale en France Publihebdos / Actu, filiale du groupe Sipa : 95 titres, dont 17 qui couvre les territoires bretons, comme Le Trégor ou côté Quimper et des sites d’info en ligne comme Actu Rennes ou Actu Morbihan.

Audiovisuel : un secteur soutenu par les pouvoirs publics

Un maillage de télés sans équivalent, avec les TV locales (dont TVR la plus ancienne de France et celle qui est dotée du plus gros budget), les régionales (France 3 – Ici) et maintenant une nationale (NOVO19, portée par Ouest-France)

Un soutien fort de la Région qui apporte des subventions aux chaînes pour qu’elles puissent coproduire (documentaires, fictions, animation, etc.), et finance la plateforme de diffusion en accès libre KuB ; le contrat d’objectifs et de moyens entre la région et les télévisions locales s’élève à 1,8 millions d’euros par an depuis 2009, un montant qui a fait des envieux (et des émules) dans d’autres régions

Une vingtaine de sociétés de production, qui pour certaines se distinguent chaque année dans les grands festivals et une dynamique régionale permet d’initier de nombreux projets, y compris de moyens métrages, ce qui est rare hors de Paris

Des radios associatives bretonnes sont aussi réunie au sein d’une coordination, la Corlab, et mène des actions collectives

Et de nombreux médias associatifs

Sur les ondes comme Radio Laser, en ligne comme Splann!, et même sur scène avec Les 3 Ours…

Les Bretons, un public pas comme les autres

Des citoyens attachés à leur territoire et plus impliqués

Niveau d’attachement : 78% des Bretons se disent attachés à leur région selon le baromètre des territoires de l’Institut Montaigne (2021), c’est 21 points de plus que la moyenne des Français

Niveau de vote : les Bretons votent un peu plus que la moyenne des Français, comme on l’a vu encore aux dernières élections présidentielle et législatives de 2022 (2ème rang en terme de participation, après la Nouvelle Aquitaine)

au niveau de l’engagement associatif, c’est plus spectaculaire : 52 % des Bretons sont adhérents à une association, soit 10 points de plus que la moyenne nationale (42 %). 79 000 structures associatives actives et 700 000 bénévoles, dont 300 000 réguliers.

NB : il y a des raisons historiques et géographiques à cela ; lire par exemple Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française ou Hervé le Bras, L’invention de la France…)

Conséquence : un public qui s’informe plus que les autres

Des lecteurs / abonnés nombreux, et qui lisent parfois plusieurs titres

Le Télégramme
160 000 exemplaires vendus en 2024-2025
près de 6 millions de lecteurs par mois (papier ou numérique)

Ouest-France
587 000 exemplaires vendus en 2024-2025, ce qui en fait de loin le quotidien le plus vendu en France
Plus de la moitié sont vendus en Bretagne
près de 22 millions de lecteurs par mois (papier ou numérique)
en tête des classements des audiences numériques des quotidiens
NB : l’audience numérique se fait majoritairement en dehors de l’Ouest des zones historiquement couvertes par le journal

De belles audiences radio et TV :

France 3 ou France Bleu en Bretagne (désormais réunies sous la marque Ici) font partie des chaînes du réseau audiovisuel public qui enregistrent les meilleures audiences sur l’info, les événements spéciaux en directe et les documentaires

Selon Médiamétrie, c’est en Bretagne que l’audience de la radio est la plus élevée en 2025 avec 73,2% d’auditeurs de 13 ans et plus quotidiens (presque 8 points de plus qu’en PACA).

Un écosystème médiatique breton à préserver

S’il n’y a pas forcément un modèle breton (au sens où il serait réplicable, exportable), on peut tout à fait parler d’une exception bretonne. Mais comment préserver ce paysage médiatique si singulier ?

Ce paysage, que je ne voudrais pas non plus décrire comme idyllique, est fragile. Il n’est pas à l’abri de pression ou tensions multiples, des évolutions des usages en matière d’information, de la crise de confiance envers les journalistes, de la fragilisation des modèles économiques médias, même si en Bretagne les acteurs résistent peut-être qu’ailleurs.

J’aimerais conclure avec cette étude menée par une chercheuse australienne, Alison McAdam qui s’est demandé quelles étaient les conditions de pérennité, de durabilité, des médias locaux. Ces conditions sont multidimensionnelles, pas seulement économiques.

1 – La dimension économique reste centrale bien sûr. Les médias locaux qui durent sont en général ceux qui ont réussi à fidéliser leur public, à se diversifier dans leurs activités, ou qui ont choisi de ne pas chercher la croissance à tout prix.

2 – Un média local pérenne est aussi un média qui entretient son capital social, sait rapprocher les populations, développe des relations de confiance et de loyauté au sein de sa communauté, cultive sa connaissance du terrain.

3 – La dimension culturelle compte aussi, lorsque les médias locaux contribuent par exemple à préserver les valeurs et de l’identité des communautés et jouent un rôle de gardien et d’animateur de la mémoire collective (notamment grâce à leurs archives).

4 – Il y a bien sûr une dimension politique, qui souligne le rôle des médias locaux dans la démocratie et la participation citoyenne. Le soutien des pouvoirs publics peut renforcer leur crédibilité des médias locaux mais aussi faire craindre une influence politique.

5 – La géographie a aussi un impact, notamment pour les médias qui couvrent des zones rurales ou isolées. La prise en compte et la compréhension des spécificités de leur territoire permet aux médias de rester pertinents et viables auprès de leur public.

6 – Il a enfin une dimension temporelle à prendre en compte. Pour durer, les médias locaux doivent tirer parti de leurs acquis historiques tout en tenant compte des défis actuels. Savoir en quelque sorte reconnaître la valeur de ce qui a résisté à l’épreuve du temps face aux mutations continuelles du paysage.

PS : je précise pour finir que cet état des état des lieux n’est ni exhaustif ni définitif et que Ouest Médialab invite tous les acteurs ici présents à le compléter. Il mériterait par exemple d’être complété par des travaux de chercheurs, comme ceux réunis au sein de Marsouin qui travaillent sur les usages numériques.