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30 mai 2018

Modèle éco : l’adhésion plutôt que l’abonnement ?

La bascule semble aujourd’hui tenter de nombreux médias (et pas seulement associatifs) mais celle-ci ne se s’opère pas sans une mûre réflexion et un gros travail de marketing et management.

Subscriptions VS memberships” : c’était le thème d’une des conférences du dernier Festival International du Journalisme de Pérouse. Deux éditeurs indépendants américains ont raconté leur passage réussi d’un modèle basé sur l’abonnement payant à un modèle reposant sur les dons et les adhésions. L’un des exemples les plus convaincants est celui du Honolulu Civil Beat. En l’espace de 18 mois, ce pure player hawaïen est passé de l’abonnement numérique à l'adhésion avec des résultats spectaculaires. À sa création en  2010, l'équipe du journal visait pour atteindre l’équilibre 5 000 abonnés numériques à 12 dollars par mois. Le contenu était apprécié mais les gens n’étaient manifestement pas prêts à payer autant. Le journal a donc baissé son abonnement à 10$ par mois, puis à 5$, avant de l’abandonner. “Aujourd’hui, les adhésions nous rapportent en moyenne 11 dollars par mois, explique Ben Nishimoto, le directeur de la publication. Les gens estiment la valeur de notre travail à un niveau plus élevé que nous l’avions nous mêmes imaginé !”. Le bon vieil e-mail a été au coeur de la stratégie. En un an et demi, de 4 000 abonnés à la newsletter, le journal est passé à 12 000, et le trafic généré par la newsletter de 4% à 15%, avec un taux d’ouverture de 29% et un taux de clic et 9% de clics. Cette transformation ne s’est pas faite avec une baguette magique. Le Honolulu Civil Beat a changé son discours en expliquant qu’ils considérait son travail journalistique comme “un service public” qui devait rester en libre accès mais en demandant en contrepartie un soutien financier auprès de ceux qui approuvaient sa démarche. “Les gens s’abonnent pour avoir accès à votre contenu mais il font un un don parce qu’il vous font confiance et soutiennent votre cause, c’est très différent”, résume Ben Nishimoto. Cette bataille de la confiance a soulevé une foule de questions : Pourquoi les journalistes traitent-ils tel sujet et pas tel autre ? Comment être plus transparent vis-à-vis des lecteurs ? Qui sont nos donateurs du journal ? Etc. Un gros changement de mentalité pour la rédaction qui a dû se montrer encore plus à l'écoute de ses donateurs - très impliqués et exigeants - qu’elle ne l’était jusque là vis-à-vis de ses lecteurs.

Partage d’expériences

Pour réussir sa mue, le pure player hawaïen a suivi, comme une quinzaine d’autres éditeurs, les conseils prodigués par le News Revenue Hub, un programme mis en place Mary Walter-Brown, la fondatrice de The Voice of San Diego. Son objectif : aider les éditeurs qui n’ont pas les compétences ou la ressource en interne pour passer au modèle de l’adhésion. Elle s’est appuyée sur l’expérience vécue dans son propre média pour apprendre aux autres à raconter une histoire sur leur marque média, définir une stratégie et un plan d’actions en mettant aussi les journalistes autour de la table, et pas seulement les éditeurs et les équipes commerciales. The Voice of San Diego a été le premier pure player d'information local “non profit” (sans but lucratif) à se lancer en 2005 aux Etats-Unis. Les premières années de fonctionnement, l’appel aux dons était “sporadique” se souvient Mary Walter-Brown, sa fondatrice. Le journal se contentait d’une campagne en fin d’année pour demander de l’argent à ses supporteurs.  “Comme beaucoup de médias, rappelle-t-elle, nous n’étions pas bons pour expliquer notre modèle économique et faire passer le message que la pub et les petites annonces ne suffisent plus à financer un média local.” En 2010, l’équipe a donc pris la décision de développer un vrai programme d'adhésion, d’analyser et d‘automatiser les échanges avec ses lecteurs, en utilisant Salesforce et Mailchimp. “On voulait atteindre 25% des revenus par l’adhésion, on est actuellement à 23%”, se félicite Mary Walter-Brown. Mary Walter-Brown souligne à quel point il est important pour la rédaction de créer du lien, d’organiser des rencontres physiques avec les lecteurs-donateurs pour échanger autour d’un café, de les faire entrer dans les coulisses du média. Et pour que ça marche, il faut laisser du temps aux journalistes pour nourrir cette relation. “Si vous n’êtes n’êtes pas assez agressif et ambitieux dans votre stratégie et que vous n'y consacrez pas le temps que cela mérite, ce ne sera pas un succès” prévient-elle.

Plateforme communautaire

Le modèle de l’adhésion est aussi celui adopté en Europe par De Correspondent ou The Guardian, et en France par de plus petits médias comme Reporterre ou le Bondy Blog. Le pure player néerlandais De Correspondent associe avec brio ses lecteurs abonnés dans la production journalistique. Son “carnet d’adresses” permet aux 21 journalistes de la rédaction d’avoir accès aux expertises et aux connaissances de leurs 56 000 membres. Son fondateur explique la méthode employée pour construire ce CRM (customer relationship management) maison. Les abonnés sont invités à proposer un titre “d’expert” (exemple : professeur de droit), leurs compétences sont vérifiées par l’équipe. Les contributeurs sont ensuite classés dans des groupes d’experts (anthropologie, architecture, santé…) et sont invités, en fonction de leur expertise, à contribuer aux articles avant même qu’ils soient publiés. Pour aller plus loin, De Correspondent a ouvert un poste dédié à la conversation avec la communauté. Soutenue par la Knight Foundation et le Democracy Fund, la plateforme hollandaise développe aussi depuis mai 2017 sur un projet de recherche lancé avec l’Université de New York : The Membership Puzzle Project. Celui-ci vise à mieux connaître les pratiques d’adhésion Outre-Atlantique, à réfléchir à de nouveaux modes de contribution des lecteurs et à lancer une version internationale de la plateforme. Le site est une mine d’infos sur les modèles d’adhésion, répertoriés dans une base de données inédite.   A lire aussi, le billet du  consultant Yann Guégan qui a attiré notre attention sur la conférence de l’IJF de Pérouse.
Photo : la page de dons du journal The Voice of San Diego

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