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26 novembre 2015

5 médias locaux anglais à l’assaut des données

Par Julien Kostrèche (Ouest Médialab)

Les 6 et 7 novembre derniers, nous avons eu le plaisir d’être invités par Clare Cook et l’équipe du Media Innovation Studio de l’Université de Preston en Grande-Bretagne, pour participer à une intéressante conférence sur le thème “Hyperlocal Data Journalism”. Au coeur de ces deux journées, une question : l’utilisation des données offre-t-elle de nouvelles opportunités, notamment économiques, pour des médias locaux ? 5 porteurs de projets sont venus partager leur enthousiasme et leur expérience en la matière, prouvant que l’exploitation du potentiel des données par les rédactions est sans doute plus une question d'état d'esprit que de moyens. Voici ce que nous en avons retenu :

Hebe Works : explorer la ville en personnalisant les flux de données

Hebe Works, basé à Leeds, est un étonnant cocktail de média et de technologie. Un peu comme si, pour faire une analogie toute nantaise, Kostar et Bakasable avaient réuni leurs talents. La société, dirigée par Mark Barrett, compte une douzaine de salariés. Elle édite un journal culturel et urbain gratuit, The City Talking. Né d’une d’un page Facebook en 2013, il compte aujourd’hui 4 éditions locales : Leeds, Manchester, Sheffields, York (et bientôt Liverpool). Hebe Works est aussi une agence de design qui réalise des sites web et des contenus à partir des données. Ils ont par exemple réalisé Leeds Data Mill, la première plateforme open data locale du pays, ou encore ce joli film qui met en scène les données sur la qualité de l’air et la manière dont celles-ci impactent la qualité de vie des habitants. Depuis septembre dernier, la société est aussi devenue un éditeur d’application avec le lancement de Solomon, un tableau de bord sur l’état de la ville, open source et personnalisable, alimenté par de nombreux flux de données locales (météo, résultats sportifs, transports, prix de l’immobilier, places de parking, etc.). Prototypé à Leeds avec l’aide de fonds publics dédiés à l’innovation, ce “City Dashboard” a entièrement été pensé pour être dupliqué facilement sur d’autres territoires. Salomon

The Bristol Cable : les données au service de l’investigation

Farouchement indépendant, The Bristol Cable est soutenu par ses lecteurs qui peuvent, à partir d’1 euro par mois, devenir membres de la coopérative qui détient le journal. Le média local vient de fêter sa première année d’existence avec déjà un beau bilan : 10 à 20 000 exemplaires diffusés pour l’édition print trimestrielle, 2 000 abonnés, 120 000 visiteurs uniques par mois sur le site et de nombreux workshops organisés. L'originalité du Bristol Cable est de miser sur l’investigation à partir des données collectées dans la 6ème ville du pays (environ 500 000 habitants). Parmi les nombreux sujets traités par la rédaction : l’impact sur le climat du trafic aéroportuaire de Bristol, la carte des logements vides, le travail au noir, le financement des partis politiques locaux ou les investissements (pas si éthiques) de l’Université… Chaque enquête donne lieu à une double page d’infographies dans l’édition papier, reprises sur le site web qui ne propose pas encore de datavisualisations interactives, faute de compétences informatiques et design en interne. Pour l’instant, Adam Cantwell et ses acolytes travaillent dans des restos le soir pour gagner leur vie, mais armée d’une motivation qui force l’admiration et d’une solide expérience en datajournalisme, l’équipe pourrait bien réussir à se professionnaliser en 2016. Bristol Cable

Trinity Mirror : data, palmarès et faits divers

Le Trinity Mirror est l’un des plus grands groupes de presse du Royaume-Uni avec environ 260 titres, dont un grand nombre en région. Il y a deux ans, le groupe avait lancé ampp3d, un site d'info exclusivement centré sur les stats, aujourd’hui réintégré comme une simple rubrique au sein du site web du Mirror faute d’avoir conquis une audience suffisante. Pour ses éditions locales, le groupe a depuis créé un poste de datajournaliste, occupé par David Ottewell, qui centre son travail sur des sujets susceptibles de faire la Une du journal. David a ainsi comparé l’espérance de vie selon les régions, le nombre de vols élucidés ou l’évolution du nombre des patients suivis par un médecin. Il a aussi dressé un classement des écoles en fonction des résultats du bac, des visites de musées en fonction des statistiques ethniques ou des villes les moins pluvieuses du pays. Le recours au scraping, pour aspirer des données sur le web, est une pratique courante et parfois très efficace quant il s’agit par exemple d'extraire les affaires criminelles non élucidées depuis le site site Internet du Bureau des personnes disparues. David essaie aussi de personnaliser au maximum les dataviz qu’il produit, en proposant au lecteur de répondre à un quiz pour cerner ses affinités, de filtrer les données par âge ou par sexe, ou simplement en rentrant son code postal. Ce sujet sur le niveau de pauvreté et de dépendance des régions a été l’un des plus consultés cette année.  Trinity Mirror

Urbs : exploiter tout le potentiel éditorial des données

UrbsLa cinquantaine bien sonnée, Gary Rogers n’a pas franchement le profil du journaliste-geek branché datajournalisme. Il a roulé sa bosse en télévision (BBC, ITV…) avant de travailler comme consultant médias et de se lancer en janvier dernier dans l’aventure Urbs. À l'origine du projet, une question simple : peut-on remplacer une rédaction par des datas ? Comprendre : les données peuvent-elles remplacer les sources d’info traditionnelles, est-ce qu’on peut produire moins cher, trouver des modèles qui passent à l’échelle ? Pour démarrer, Urbs s’est concentré sur les 600 jeux de données disponibles sur la plateforme open data de Londres. Avec son associé, lui aussi autodidacte en matière de data, Gary a exploré méthodiquement le potentiel éditorial de chaque jeu de données (logement, transport, santé…), en se centrant sur l’histoire, le message, plutôt que sur des visualisations interactives dans lesquelles on se perd parfois. Bilan au bout de 6 mois d’activité : 300 articles rédigés à partir de données ouvertes souvent sous-exploitées et qui permettent de raconter des histoires inédites sur la ville. Et plusieurs constats : utiliser les données était plus facile que prévu ; ça ne remplace pas le contenu traditionnel, mais ça le renforce, en apportant de l’objectivité et de la transparence ; pour plus d’impact, il faut chercher à tirer tout le potentiel d’un jeu de données, en allant du général au particulier, en segmenter les audiences (comme cela a été fait sur les retards des lignes de métro). Pour l’instant, Urbs dégage juste de quoi payer le café (ou le thé) mais cela ne semble guère perturber la petite équipe qui creuse tranquillement son sillon et se forge une notoriété dans le monde de l’éditorialisation de donnés.

On the Wight : mettre les données à la portée de tous

On the Wight est un pure player d’info hyperlocal qui couvre l’actualité de l’île de Wight  (140 000 habitants), située au sud de l’Angleterre. Avec des moyens modestes, le site a aujourd’hui trouvé une place dans le paysage médiatique, face au County Press, le quotidien régional historique de l’île. Quelques chiffres : On The Wight, c’est 24 000 articles et 120 000 commentaires publiés en 10 ans, et une moyenne de 100 000 visiteurs uniques par mois. La rédaction a fait ses premiers pas dans le datajournalisme en publiant un document Google mis à jour pour régulièrement pour informer de la fermeture des écoles les jours de neige. Puis elle a eu envie de créer ses propres jeux de données. “Ça prend du temps, mais ça a de la valeur pour nos lecteurs”, assure Simon Perry, co-fondateur du pure player. On the Wight a par exemple ouvert en 2011 un site dédié, Arm Chair Auditor, pour inviter les citoyens à éplucher les dépenses publiques de la collectivité. En 2013, il a assuré une couverture live des élections locales en partageant un document sur lequel était saisi en direct les résultats. L’an dernier, la rédaction a aussi détecté des anomalies dans les tarifs des places de parking… A la clé, pas d’infographies chiadées mais de simples tableaux de chiffres issus d’un travail rigoureux de fact checking. L’an prochain, Simon espère franchir une nouvelle étape : automatiser la rédaction d’articles à partir de données par des programmes informatiques, comme cela vient d’être expérimenté à l’occasion de la publication des derniers chiffres du chômage.

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